Alors que les femmes ont joué un rôle crucial dans la gestion de la crise du coronavirus, elles sont toujours payées 26 % de moins que les hommes. Pour lutter contre ces inégalités systémiques, militant·e·s, syndicalistes et intellectuel·le·s promeuvent l’action collective en justice, « levier pour gagner l’ouverture de négociations collectives ambitieuses, sur la base d’un vrai diagnostic des inégalités » dans les entreprises.
La crise du Covid-19 a permis de mettre en évidence un paradoxe prégnant : les femmes restent en première ligne sur le front des inégalités au travail et dans la vie, alors qu’elles ont joué un rôle crucial dans la gestion de cette crise.
En France, les femmes sont toujours payées globalement 26 % de moins que les hommes, chiffre révélateur d’inégalités systémiques. Tout d’abord, un plancher collant les empêche de progresser : elles sont enfermées dans le temps partiel et la précarité. Un plafond de verre limite leur progression de carrière et leur accès aux postes les plus qualifiés et rémunérés. Des parois de verre les contraignent à occuper les professions les moins valorisées (administration, éducation, social, soins, santé…). Enfin, leurs primes et autres parts variables de rémunération sont moins importantes, d’où des inégalités encore plus conséquentes chez les femmes cadres…
Sans oublier la « pénalité-maternité » : une mère sur deux interrompt ou cesse son activité professionnelle, contre un père sur neuf. Pour bien des femmes, l’arrivée d’un ou plusieurs enfants signe la fin de leur évolution de carrière. Cinq ans après une naissance, une mère perçoit un salaire inférieur de 25 % à celui qu’elle aurait eu sans enfant.
L’index égalité salariale, de qui se moque-t-on ?
En 2019, affichant la volonté d’obtenir de vrais résultats en matière d’égalité salariale dans les entreprises, le gouvernement a mis en place un index. Au 1er mars 2020, les 40 000 entreprises de plus de 50 salarié·e·s doivent avoir publié leur note. En ce début d’année 2020, dernier bilan en date, 2/3 d’entre elles l’ont fait et leur index est en moyenne de 84 sur 100.
Cet index repose sur cinq indicateurs notés sur 100 points : l’écart de rémunération par âge et catégorie professionnelle ; l’écart entre la part des femmes et des hommes augmentés ; l’écart entre la part des femmes et des hommes promus ; la part des femmes ayant bénéficié d’une augmentation au retour de congé maternité ; et la présence d’au moins 4 femmes dans les 10 plus hautes rémunérations. En-dessous de 75 points, l’entreprise a trois ans pour s’améliorer sous peine de sanctions.
Du fait d’un barème et d’un système de pondération et de seuils, il est possible d’obtenir une bonne note même avec des écarts femmes-hommes élevés sur les trois premiers indicateurs. Par exemple, le niveau de promotion ou d’augmentation n’est pas pris en compte : il suffit d’augmenter toutes les femmes de 10 € et tous les hommes de 100 € pour obtenir la note maximale. La priorité du Ministère du travail semble être d’améliorer la place des femmes au plus haut niveau de l’entreprise… Comme s’il suffisait qu’une poignée de femmes cadres supérieures arrive au sommet pour que l’égalité professionnelle soit garantie ! L’index est donc loin de refléter la réalité des inégalités femmes-hommes dans l’entreprise.
Une autre réponse : l’action de groupe
Pour atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes au travail, il serait illusoire de compter uniquement sur l’index promu par le gouvernement. Les organisations syndicales ont un rôle majeur à jouer pour faire progresser l’égalité professionnelle mais se heurtent, dans la négociation, aux employeurs qui rendent invisibles les inégalités salariales et professionnelles. Au-delà de ce combat collectif, agir en justice individuellement devant le conseil de prud’hommes ou au pénal était jusqu’à présent le dernier recours pour les salarié·e·s victimes de discrimination. Mais bien des obstacles se dressent sur leur chemin, notamment la peur des représailles, les coûts et délais de procédure, et la difficulté d’accès à la preuve.
Afin de rendre plus effectif le droit de la non-discrimination, le législateur a créé une action de groupe inspirée de la class action américaine, qui permet à un syndicat ou une association de représenter un groupe de salarié·e·s confronté à une même discrimination. Cette action est un rempart plus solide que la voie individuelle contre les mesures de rétorsion.
Surtout, l’action de groupe permet de s’attaquer aux discriminations systémiques qui touchent les femmes au travail. Il s’agit de mettre fin à des comportements, des règles et pratiques d’entreprise apparemment neutres mais souvent liées à des préjugés, qui produisent de manière directe ou indirecte des écarts de rémunération et d’évolution de carrière au détriment des femmes.
Le cadre collectif de l’action de groupe facilite la preuve des discriminations systémiques que l’action individuelle ne permet pas toujours de déceler. De plus, au-delà de la réparation des préjudices pour la totalité des femmes concernées, cette action permet d’ordonner des mesures structurelles à l’échelle de l’entreprise pour faire cesser ces discriminations. Elle est un levier pour gagner l’ouverture de négociations collectives ambitieuses, sur la base d’un vrai diagnostic des inégalités.
C’est pourquoi l’action de groupe sur les discriminations envers les femmes au sein de la banque Caisses d’Épargne Ile de France présente un intérêt particulier. Première en son genre, l’action portée par la CGT couvre toutes les femmes, des employées jusqu’aux cadres. Elle vise à attaquer les plafonds et parois de verre qui cantonnent les femmes dans les plus bas échelons hiérarchiques, limitent leur évolution, entravent leurs mobilités. De fait, la note obtenue à l’index masque les écarts réels. A titre d’exemple, alors que les hommes représentent 38 % des effectifs, ils bénéficient de 56 % des promotions. Quant aux écarts de rémunération, ils sont bien plus importants que ce que la banque voudrait faire croire.
Comme l’écrit le Défenseur des droits, l’action de groupe doit aboutir à ce que discriminer ne soit plus économiquement rentable pour les entreprises. Au-delà, l’action de groupe recèle un effet dissuasif qui devrait inciter les sociétés qui en auront perçu la portée à négocier les outils nécessaires pour que les femmes soient repositionnées, en carrière et en salaire.
Signataires :
Associations féministes :
Alyssa Ahrabare, Osez le Féminisme !
Ana Azaria, Femmes-Égalité
Danielle Bousquet, Fédération Nationale des Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles
Christiane Marty, Fondation Copernic
Suzy Rojtman, Collectif national pour les droits des femmes
Sabine Salmon, Femmes Solidaires
Aurélie Trouvé, ATTAC France
Chercheur.es :
Jacqueline Laufer, sociologue, HEC-Paris, réseau de recherche MAGE
Yannick Le Quentrec, Sociologue, Certop/Sagesse, Directrice IRT Occitanie UT2
Séverine Lemière, économiste, Université de Paris, réseau de recherche MAGE
Margaret Maruani, sociologue CNRS-Cerlis, réseau de recherche MAGE
Antoine Math, économiste, Institut de recherches économiques et sociales
Rachel Silvera, économiste, Université Paris-Nanterre, réseau de recherche MAGE
Syndicats :
Sophie Binet, Co-secrétaire générale, UGICT, CGT et Pilote du collectif « Femmes Mixité », CE Confédérale, CGT
Murielle Guilbert, Responsable femmes, Solidaires
Valérie Lefebvre Haussmann, Secretaire generale FSPBA CGT