Monsieur le Président de la République,
Nous nous adressons à vous dans le cadre de la crise sanitaire qui frappe violemment notre pays depuis plusieurs mois. Vous avez pris certaines mesures économiques.
Parmi ces mesures figure le recours au chômage partiel, qui s’accompagne nécessairement d’une perte de revenu ; perte de ressources qui se trouve encore amplifiée par la privation des heures supplémentaires le cas échéant et par la disparition des autres formes de rémunération variable pour bon nombre de salarié-e-s.
Plus d’un salarié-e- sur deux dans le secteur privé voit ainsi son budget déséquilibré, dans un contexte où le salaire médian s’établit à un niveau modeste d’environ 1700 euros nets dans notre pays, alors que l’essentiel de nos concitoyens vivent en zone urbaine, où les prix du logement notamment, et de toutes les dépenses incompressibles en général, sont plus élevées qu’ailleurs.
Il en résulte des perspectives immédiates, et sans doute aussi malheureusement dégradées dans la durée, de voir le budget de millions de ménages déséquilibré, donnant lieu à des difficultés ou des décalages de trésorerie importants.
Nous souhaitons par la présente attirer votre attention tout particulièrement sur ces enjeux qui risquent d’être encore accentués et aggravés sous les effets d’un phénomène que nous redoutons, à savoir les effets dévastateurs du mécanisme des frais d’incidents bancaires facturés par les établissements.
Il ne fait auncun doute que les frais d’incidents bancaires apparaissent en grappes, et ont des effets en cascade !
A de nombreuses reprises, la problématique de la tarification insensée des frais d’incidents bancaires a suscité l’émoi des Français, et l’indignation unanime des organisations représentant la société civile dans son ensemble : associations de consommateurs, familiales et caritatives, auxquelles s’est jointe notre organisation syndicale.
Vous y avez d’ailleurs prêté attention sous la pression du mouvement des gilets jaunes, lorsque vous avez implicitement reconnu le bien-fondé de nos revendications en ordonnant un plafonnement global de ces frais pour tous les clients fragiles, seul moyen pour juguler les cascades de frais qui s’abattent dès l’apparition des premières difficultés, et qui les rendent rapidement insurmontables.
Pour votre parfaite compréhension, il faut que vous sachiez que la solution d’un plafonnement des frais d’incidents bancaires réservé aux clientèles fragiles comporte présentement deux biais importants dans le cadre de la situation que nous vivons. Ainsi la fragilité et le bénéfice du plafonnement ne sont reconnus :
– qu’aux termes de trois mois d’incidents répétés ;
– sur la base de critères « durs », c’est-à-dire objectifs, tels que l’inscription au fichier central
des chèques ou à celui des incidents des crédits aux particuliers, ou sur le fondement de critères « modulables » laissés à la libre appréciation des établissements. Ces critères reposent essentiellement sur des seuils de revenus et/ou d’incidents, et ne sont actuellement pas rendus publics, ce qui ne va pas sans poser de problèmes pour la vérification de leur application.
Considérant ces deux biais opérationnels, l’urgence sociale que nous vivons exige que des mesures soient prises sans délai pour que le plafonnement puisse s’appliquer plus rapidement dans tous les établissements, dès les premières difficultés, et sur la base de critères fiables, actualisés, et connus du public.
Nous vous demandons également de permettre l’extension du mécanisme de plafonnement des frais d’incidents bancaires au bénéfice des clientèles agissant pour des besoins professionnels : artisans, commerçants, travailleurs indépendants, TPE/TPI… qui connaissent le même sort que les clientèles de particuliers, avec toutes les conséquences que cela suppose.
Dans l’attente de cette extension, demeure en suspens l’engagement pris par le Ministre de l’Economie et des Finances pour que soient exonérés les frais d’incidents facturés sur les représentations de prélèvement. A ce jour, la solution technique du marqueur unique servant à identifier une représentation de prélèvement a été trouvée grâce à la mobilisation du Comité consultatif du secteur financier, plus rien ne fait obstacle à ce que l’exonération des frais d’incidents sur les représentations de prélèvements puisse se faire automatiquement, comme cela se pratique d’ailleurs avec l’exonération pour les frais d’incidents sur les représentations de chèques depuis de nombreuses années. Cette différence saugrenue de traitement entre le chèque et le prélèvement, au détriment d’un moyen de paiement plus moderne et largement répandu, est franchement dommageable, à fortiori dans le contexte actuel. Nous vous demandons de tout mettre en œuvre pour mener ce dossier à son terme en procédant le plus rapidement possible à la modification règlementaire rendue nécessaire pour y parvenir.
En marge de nos demandes, je me dois de souligner le caractère proprement inadapté de « l’offre spécifique clients fragiles », qui ne prévoit pas d’autorisation de découvert. Comment les clients en incident, en raison d’un dépassement de découvert, ou d’un découvert non autorisé, peuvent-ils souscrire à une offre ne prévoyant pas de découvert, en l’absence de possibilité de couverture ? Cette offre manque clairement son public entre autres pour ce motif, et nous considérons par ailleurs que l’inclusion bancaire doit passer des moyens de droit commun, et non par un régime d’exception porteur de stigmates.
A plus long terme, si vous nous avez rejoint par le passé sur le recours au plafonnement global comme seul levier efficace pour juguler les frais d’incidents, vous en avez sans doute conclu, tout comme nous, que le mécanisme sous-jacent pose question, tant sur son fonctionnement et son architecture, que sur les niveaux de tarification pratiqués, très éloignés du coût économique de traitement des opérations en incident. Cela doit vous conduire à réinterroger ces mécanismes et les schémas de tarification déréglés qui laissent entrevoir une forme de solidarité inversée dans le modèle bancaire. Nous appelons de nos vœux et de votre autorité la conduite d’une étude publique sur le modèle économique de la banque de détail, incluant précisément ces aspects tarifaires.
Enfin, comme cela est projeté depuis 2016, nous vous demandons de bien vouloir permettre l’extension de l’Observatoire de l’inclusion bancaire en incluant dans sa composition la présence de représentants du Parlement d’une part, et des salariés du secteur bancaire d’autre part. Le Comité consultatif du secteur financier s’était exprimé favorablement sur cette possibilité à l’occasion de sa séance du 19 mai 2016 : « le CCSF demande aux pouvoirs publics d’étudier avec bienveillance l’inclusion d’un représentant des salariés au sein de l’Observatoire de l’inclusion bancaire ».
Sur l’ensemble des aspects sur lesquels nous appelons votre action ou votre attention aujourd’hui, notre organisation se tient à votre disposition pour vous fournir tous les éléments techniques et de compréhension que vous souhaiteriez.
Comptant sur votre engagement et sur votre action en faveur de l’inclusion bancaire, je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, à l’assurance de ma plus haute considération.
Secrétaire Générale FSPBA-CGT