Opinions et attentes des cadres est un baromètre annuel UGICT-CGT/SÉCAFI, réalisé par Viavoice. Les résultats de l’édition de mars 2018 révèlent un divorce net entre l’encadrement et les directions.
Méthodologie
L’instabilité des organisations du travail et le manque de visibilité sur leurs évolutions liées à la non association des cadres aux choix stratégique des entreprises et des administrations, expliquent la difficulté des cadres à jouer leur rôle contributif pour construire des perspectives et permettre une meilleure lisibilité pour chacune et chacun sur son avenir professionnel.
S’ajoute une charge de travail excessive conjuguée à l’intrusion et l’usage actuel des outils numériques qui prolonge le lien de subordination hors travail en effaçant les frontières spatio-temporelles. Près d’un cadre sur deux déclare travailler
45 heures ou plus par semaine, dont 21 % plus de 48 heures hebdomadaire.
57 % des cadres souhaitent disposer d’un droit à la déconnexion effectif afin de préserver sa vie privée et sa santé. C’est une aspiration forte à pouvoir disposer de la maîtrise de son temps de vie et de son cadre de travail qui s’exprime ici.
Cette aspiration est encore plus forte pour les femmes cadres.
Autres éléments marquants du baromètre, les conflits avec l’éthique professionnelle qui concernent 54 % des cadres, les pratiques managériales qui se dégradent pour 44 % d’entre eux. 59 % des cadres souhaitent disposer d’un droit d’alerte dans le cadre de l’exercice de leurs responsabilités, afin de pouvoir refuser de mettre en oeuvre des directives contraires à leur éthique.
Le manque de reconnaissance salariale pour plus d’un cadre sur deux est directement liée au déficit de reconnaissance des qualifications et des compétences. L’absence de revalorisation salariale conjuguée à l’effet de tassement des grilles et niveaux de salaires génère un sentiment justifié de déficit de reconnaissance professionnelle.
Les Cadres en mal de reconnaissance professionnelle
Le niveau de reconnaissance professionnelle reste très bas.
Tous les indicateurs restent au rouge en matière de reconnaissance salariale, même si on note une très légère amélioration.
Le niveau de rémunération est toujours jugé en inadéquation par rapport :
- au degré d’implication 57 % (+ 1 point par rapport à 2015)
- à la charge de travail 56 % (+ 2 points par rapport à 2015)
- au temps de travail réel 58 % (+ 7 points par rapport à 2015)
- à la qualification 47 % (+ 1 point par rapport à 2015)
- aux responsabilités 47 % (+ 1 point par rapport à 2015)
Focus Femme / Homme : très impliquées et peu rémunérées malgré une forte charge de travail
Sur chacun de ces différents critères, les femmes affichent un taux d’insatisfaction supérieur aux hommes (entre 3 et 8 points). Ce sont sur les critères « charge de travail » (61,3 % vs 52,8 %) et « implication » (62,5 % vs 54 %) que les écarts sont les plus grands. Cela confirme la persistance du niveau des inégalités salariales femmes/hommes chez les cadres et la nécessité d’intervenir syndicalement pour garantir l’effectivité de l’égalité salariale. Car les entreprises publiques, comme les entreprises privées ne s’engagent pas réellement vers les résorptions des inégalités salariales et toutes les mesures mises en oeuvre jusqu’ici par le gouvernement restent insuffisantes et inefficaces.
Focus Fonction publique : une situation aggravée
Autre éclairage apporté, les différences importantes entre la fonction publique et le secteur privé. Le niveau d’insatisfaction dans la fonction publique dépasse celui du secteur privé dans une fourchette comprise entre 10 et plus de 20 points sur chacun des critères. Arrivent en pointe les critères « qualification » (64,4 % vs 41,1 %) et « implication » (70,3 % vs 53 %). Suivent les critères « responsabilité » (58,5 % vs 42,7 %), « charge de travail » (67,6 % vs 52,1 %), « temps de travail réel » (68,6 % vs 54,8 %). Ce qui démontre que le niveau de rémunération dans la fonction publique souffre d’un important manque de reconnaissance salariale. Les années de gel du point fonction publique, l’absence de revalorisation des grilles indiciaires, le développement de la politique salariale individualisée pour les cadres, participent largement à ce résultat.
Des perspectives d’évolution professionnelle en berne
Les cadres considèrent, depuis les 5 dernières années, que leur évolution professionnelle est marquée par la stagnation (47,3 %) plutôt qu’une évolution positive (44,3 %).
Une situation qui se dégrade avec l’âge
La situation professionnelle devient de moins en moins favorable avec l’âge. Seuls les jeunes de moins de 30 ans en poste expriment majoritairement avoir connu une évolution professionnelle positive (60 %). Pour les salariés âgés de 30 ans et +, leur situation professionnelle est de moins en moins favorable avec l’âge : 50 % pour les 30 – 39 ans ; 41 % pour les 40 – 49 ans ; 36 % pour les 50 – 59 ans ; 26 % pour les 60 ans et +.
C’est le reflet des politiques d’emploi des entreprises et des administrations qui concourt à un chômage massif – et durable – des seniors qui peinent à rester en emploi (notamment depuis la mise en place des ruptures conventionnelles) ou en retrouver un. Lorsque le retour à l’emploi a lieu, souvent c’est au prix de concessions importantes sur le niveau de salaire. Cette réalité est paradoxale par rapport aux déclarations d’intentions gouvernementales et patronales qui proclament la nécessité de garder les seniors à l’entreprise, notamment dans le cadre des réformes de retraite qui allongent la durée de cotisation nécessaire pour avoir une retraite sans chute brutale du niveau de vie.
Absence de perspective d’avenir
Pour les années à venir, les cadres pensent que leur évolution professionnelle sera davantage marquée par la stagnation (53,8 %), voire connaîtra une dégradation (13,4 %). Seuls les jeunes en poste de moins de 30 ans sont près de la moitié à penser avoir une évolution professionnelle positive (61 %). Dès la tranche 30-39 ans la vision est moins bonne (42 %), pour encore diminuer sur la tranche 40-49 ans (25 %), 50-59 ans (18 %) et 60 ans et + (16 %).
Un management qui nie le rôle des cadres
44 % des cadres estiment que les pratiques managériales se sont détériorées, même s’il apparaît un léger mieux par rapport à 2016 (48 %). Les cadres ressentent toujours, de manière récurrente depuis la mise en place de notre baromètre en 2012, une détérioration des pratiques managériales (44 %). Seul 15 % d’entre eux notent une amélioration, tandis que 41 % n’observent pas de changement.
Ce malaise demeure encore plus sensible dans la fonction publique par rapport au secteur privé (48 % vs 41,8 %). C’est dans la Fonction publique d’Etat que la détérioration est jugée la plus forte (57,6 %).
Les femmes perçoivent plus que les hommes l’évolution négative des pratiques managériales (45,1 % vs 42,5 %).
Un système d’évaluation largement mis en cause
Le système d’évaluation individuelle est largement rejeté pour manque de transparence (59,9 %) et parce qu’il n’est pas fondé sur les bons critères (67,9 %). Cet écart beaucoup plus important sur les critères de l’évaluation montre que les méthodes managériales sont en décalage avec les attentes et les missions des cadres.
Dans la Fonction publique le ressentiment sur l’évaluation est plus fort que dans le secteur privé : 63,3 % vs 58,7 % sur le manque de transparence ; et encore plus fort sur les critères d’évaluation 76,7 % vs 64,2 %. Cela met en exergue le fait que les cadres de la Fonction publique sont plus jugés sur leur capacité à porter la stratégie des réformes plutôt que sur leur valeur professionnelle.
Prendre part aux choix et aux critères d’évaluation du travail
D’une manière plus générale, en ayant présent à l’esprit que ce sont principalement les cadres qui sont à la fois évaluateurs et évalués, ces résultats sont révélateurs du véritable objectif du système d’évaluation : intégrer les cadres à des choix de gestion sur lesquels ils n’ont pas la main et pour lesquels on ne leur demande pas leur avis. Cette négation de leur rôle, de leur place, de leur expertise professionnelle est contre-productive. Il est plus que temps de réhabiliter les cadres dans leur rôle contributif pour leur permettre d’exercer pleinement leur qualification, d’être cadre à part entière.
Cette analyse est confortée par les réponses apportées au questionnement sur l’association aux choix stratégiques.
C’est toujours de manière écrasante (à 72,2 %), que les cadres ne se sentent pas associé-e-s aux choix stratégiques de la direction de leur entreprise ou administration. Seul 27,8 % d’entre eux perçoivent le contraire. Le management actuel pousse donc à une « dépossession » accrue des attributions dévolues normalement aux cadres. Cette « dépossession » est encore plus forte dans la Fonction publique que le secteur privé (82,7 % vs 67,7 %).
L’éthique professionnelle mise à mal
1 cadre sur 2 est confronté à des problèmes d’éthique professionnelle
Pour 54 % des cadres, les choix et pratiques de leur entreprise ou administration rentrent régulièrement en contradiction avec leur éthique professionnelle.
L’éthique professionnelle est mise à mal « souvent » (10,8 %), et « de temps en temps » (42,6 %) avec les choix et les pratiques réelles de l’entreprise ou de l’administration. Cela confirme la contradiction entre la stratégie menée par les directions d’entreprise ou d’administration et l’aspiration des cadres à pouvoir exercer professionnellement en respectant leur déontologie professionnelle pour donner du sens à leur travail. Porteur d’une certaine déontologie professionnelle, les cadres sont régulièrement confrontés à des contradictions lorsqu’il s’agit de la mise en oeuvre des décisions de leur direction.
Les cadres de la fonction publique davantage confrontés aux conflits éthiques
L’éthique professionnelle est davantage mise à mal dans la Fonction publique que dans le secteur privé 57,7 % vs 51,3 %.
Tous secteurs confondus, les femmes déclarent être « souvent » en prise avec un problème d’éthique professionnelle de manière plus fréquente que les hommes (12,3 % vs 9,8 %). Elles y sont également davantage confrontées « de temps en temps » par rapport aux hommes (46,1 % vs 40,3 %).
Pour un droit d’alerte, de refus et d’alternative
59 % des cadres souhaitent disposer d’un droit d’alerte dans le cadre de l’exercice de leurs responsabilités, afin de pouvoir refuser de mettre en oeuvre des directives contraires à leur éthique.
Cette aspiration est majoritaire dans la Fonction publique (55,5 %) et encore plus forte dans le secteur privé (60,1 %).
Des droits nouveaux permettant aux cadres de pouvoir exercer un « droit d’alerte, de refus et de proposition alternative » permettrait de remédier à ces blocages et servir d’alerte pour les directions. Les cadres sont en effet coincés dans un choix binaire, se soumettre ou se démettre, et ne peuvent exercer leur éthique dans le cadre de leur activité professionnelle.
Pour l’Ugict-CGT, il est urgent de donner un statut protecteur à tout salarié rapportant des faits contraire à l’éthique ou à la déontologie professionnelle. L’exemple significatif des lanceurs d’alertes montre jusqu’où peuvent aller les atteintes à l’intérêt général et la vulnérabilité de ses salariés qui s’exposent pour faire prévaloir l’éthique et l’intérêt général.
Voir le site : ugict.cgt.fr/encadrement/
L’urgence du droit à la déconnexion effectif
Un lien de subordination permanent
76 % des cadres indiquent utiliser pour un usage professionnel les nouvelles technologies sur leur temps personnel. Le débordement de la vie professionnelle sur la vie privée se matérialise avec l’usage des nouvelles technologies. que dans le secteur privé (83,2 % vs 72,4 %), même si ce phénomène est largement répandu quels que soient la taille de l’entreprise et le secteur d’activité professionnel.
Une charge de travail qui explose, un temps de travail de plus en plus difficile à maîtriser, la sphère privée absorbée par la vie professionnelle
La tendance reste à l’accroissement de la charge et de la durée réelle du travail pour la majorité des cadres.
62 % des cadres considèrent que leur charge de travail a augmenté depuis l’année dernière, et 51 % considèrent que leur temps de travail a augmenté. Depuis notre dernier baromètre de 2016, ce résultat traduit un léger fléchissement de respectivement 7 points pour la charge de travail et de 3 points pour le temps de travail. Mais on constate toujours une hausse depuis le baromètre de 2012 de respectivement 5 et 8 points. La tendance lourde reste à l’accroissement de la charge et de la durée du travail pour la majorité des cadres.
Des charges de travail et des durées réelles de travail plus lourdes dans la Fonction publique
La hausse de la charge de travail est largement majoritaire et répandue quels que soient la taille de l’entreprise et le secteur d’activité professionnelle. La Fonction publique est cependant plus touchée que le secteur privé (64 % vs 61,2 %).
L’augmentation de la durée du temps de travail est également plus forte dans la Fonction publique par rapport au secteur privé (55 % vs 50,9 %).
L’instabilité des organisations, les réorganisations incessantes participent à la surcharge de travail. Dans la Fonction publique, le non-remplacement des départs en retraite et l’augmentation du nombre de missions nouvelles dans le cadre des réformes publiques participe au phénomène. Conséquence directe, la pression au travail rend plus difficile la prise de jours RTT.
Près d’un cadre sur deux déclarent travailler plus de 45 heures hebdomadaires
25 % d’entre eux travaillent entre 45 et 48 heures, et 21 % travaillent 49 heures et plus par semaine.
Les cadres sont ceux dont la durée du temps de travail augmente le plus. Cela va à l’encontre de leurs aspirations à plus d’équilibre entre leur vie privée et professionnelle, et à une meilleure qualité de vie au travail. Il est nécessaire de réinterroger les organisations du travail, le mode de management (délai de plus en plus court, objectifs de plus en plus déconnectés de la réalité,…), la charge de travail et son évaluation au regard des moyens dont on dispose.
60 % des cadres déclarent travailler pendant leurs jours de repos.
26 % déclarent le faire « souvent » et 34 % « de temps en temps ». C’est une hausse de respectivement 3 points et 1 point par rapport au dernier baromètre de 2016.
Pour les cadres déclarant travailler « souvent » pendant leur temps de repos la différence est très forte entre la Fonction publique et le secteur privé (51,1 % vs 15,6 %). Pour « de temps en temps » la tendance s’inverse entre la Fonction publique et le secteur privé (25,3 % vs 37,6 %).
Le débordement du travail sur la vie privée est caractérisé.
Malgré les aspirations à avoir un équilibre vie privée / vie professionnelle, le surtravail est la règle avec débordement le soir, le week-end, et pendant les vacances.
La norme de « disponibilité extensive » est favorisée par le management en place, le développement des forfait jours, et la mauvaise utilisation des outils numériques qui prolonge le lien de subordination au-delà de sa durée contractuelle.
57 % des cadres souhaitent disposer d’un droit à la déconnexion effectif
Cette aspiration est aujourd’hui majoritaire quel que soit la taille de l’entreprise et le secteur d’activité. Elle est plus forte chez les femmes que chez les hommes (59,5 % vs 55,1 %).
Un an après l’entrée en vigueur de la loi qui a introduit cette obligation de négociation, force est de constater dans les faits l’insuffisance de cette loi qui autorise l’employeur à s’en sortir avec une charte unilatérale à défaut d’accord.
Après avoir été la première organisation syndicale à tirer la sonnette d’alarme sur le travail numérique en dehors du temps et du lieu de travail des salarié.e.s et après avoir été à l’origine du débat public en France, l’Ugict-CGT va poursuivre sa bataille pour la réduction du temps de travail et la conquête de nouveaux droits à l’heure de la transformation numérique avec sa campagne « Construire le numérique autrement ». lenumeriqueautrement.fr/
Pour sortir de cette situation l’UGICT-CGT propose :
- de garantir quels que soient le niveau de responsabilité et le régime de travail le décompte et une rémunération des heures effectuées, et une évaluation de la charge de travail ;
- de garantir l’effectivité du droit à la déconnexion.
La défense des droits
Les cadres comptent d’abord sur eux-mêmes pour se défendre. A hauteur de 49 % (+ 1 point par rapport à 2016), les cadres ont une approche individuelle pour défendre leurs droits et leur emploi. Les syndicats arrivent en 2ème position avec 25 % (+ 4 points), devant les avocats à 12 % (- 4 points), la direction 8 % (+ 2 points), les pouvoirs publics 5 % (- 2 points), les partis politiques (1 %).
L’analyse par taille d’entreprise montre que le défaut d’implantation syndicale favorise l’approche individuelle.
Ainsi, dans les petites entreprises de moins de 50 salarié·e·s les cadres déclarent pour se défendre d’abord compter sur eux-mêmes (54 %) et placent les avocats (16,1 %) devant les syndicats (12,4 %). Alors que pour les entreprises de 200
salarié·e·s et plus, les syndicats sont devant les avocats (21,5 % vs 15,6 %). L’écart continue à s’accroître en faveur des syndicats avec la taille de l’entreprise.
Le déterminant de la présence syndicale se retrouve également en comparant les résultats entre le secteur privé et la
Fonction publique. Dans la Fonction publique, où le syndicalisme est plus implanté, l’écart se réduit entre « se débrouiller par soi-même » (45,5 %) et « avec les syndicats » (33,8 %).
Les femmes font plus confiance aux syndicats que les hommes (26 % vs 24,3 %).
À noter également que la confiance dans les syndicats s’accroit avec l’âge : 19,1 % pour la tranche 18-29 ans à 26,8 % pour la tranche 40-49 ans.